Mathieu Aumont
Aux PeskedSaint-Brieuc

Il met l'océan dans les assiettes

« LA NOBLESSE DU PRODUIT VIENT DE SON ENVIRONNEMENT »

De ses derniers voyages, Mathieu Aumont se souvient des repas. A Biarritz, l’an dernier, le chef étoilé a senti un profond respect des gens pour leur région. Il a aussi dégusté des poulpes revenus avec des pequillos, accompagnés d’une salade de roquette bien poivrée, près des Halles. La dernière fois qu’il s’est rendu à Paris, il a mangé au Gaya, le restaurant de Pierre Gagnaire. Son choix : un pressé de raie avec des bases d’agrumes. « Cela m’a beaucoup plu. Selon moi, il faut choisir le produit qui nous paraît le plus simple. »

 

Une règle qu’il applique à sa cuisine : étoilé depuis cinq ans, son restaurant propose essentiellement du poisson et des légumes. Lorsque Aux Pesked (« poissons », en breton) ouvre à Saint-Brieuc il y a neuf ans, Mathieu Aumont est déjà briochin d’adoption depuis onze ans et breton depuis toujours. Né à Brest, ce fils de militaire a beaucoup voyagé pendant son enfance avant de retourner s’installer dans sa région natale et d’en adopter les saveurs. Dans l’assiette de ses enfants comme dans celle de ses clients, il valorise les produits locaux.

 

La Saint-Jacques qu’il cuisine est pêchée en baie de Saint-Brieuc. Sa spécificité : elle n’a pas de corail. Eric, le pêcheur, habite à Pornic. Expert en produits de la mer, Mathieu Aumont insiste sur les qualités d’une bonne Saint-Jacques : « Elle doit être dure à ouvrir, on doit sentir les saveurs de la mer lors de la mise en bouche. »

 

Le chef aime aussi travailler le Saint-Pierre, le maquereau et le homard. Et deux fois par semaine, Eric lui livre 5 kilos d’ormeaux sauvages, qu’il cuisine avec simplicité.

 
 

« C’est un produit qui a besoin d’attendre, explique-t-il. On le décoquille, on le laisse mourir naturellement pendant 4 – 5 jours, puis on le nettoie. On le met au frigo deux jours, ensuite on taille de belles tranches qu’on fait cuire à feu doux deux minutes sur chaque face, avec un peu de beurre. » En accompagnement, Mathieu Aumont suggère les carottes du moment.

 

D’ailleurs, son maraîcher aussi est de la région. « Je vois ses champs de ma fenêtre. Topinambours, radis japonais… Je les vois pousser et grandir de ma fenêtre. Le topinambour est un tubercule avec une tige de deux mètres de haut ! » décrit le chef, qui s’approvisionne au marché de Saint-Brieuc. 

 

A Jean-Luc, Mathieu achète aussi des endives de plein-terre. « Ce sont des endives cultivées dans la tourbe avant de finir de pousser à couvert, sous de la paille pour préserver la chaleur dont elles ont besoin », explique-t-il. Il prend également diverses variétés de betteraves anciennes (jaunes, blanches, bicolores). « Avant, je faisais une petite salade de betterave blanche. Quand elle est cuite, c’est une variété qui est très sucrée. Avec la betterave rouge, je faisais un sorbet, et de la julienne avec la jaune, se souvient-il. Nous mettions cela dans un menu parmi d’autres plats et cela plaisait beaucoup. »

 

Un succès qui récompense le pari audacieux fait il y a cinq ans par ce maître d’hôtel de formation. A l’origine, il ne cuisine pas mais dirige Aux Pesked. Lorsque le chef quitte l’établissement, Mathieu, alors âgé de 35 ans, passe pour la première fois derrière les fourneaux. Devenu cuisinier sur le tard, il obtient une première étoile au guide Michelin.

 

Pas d’huître dans ces suggestions. Pourtant, Mathieu Aumont en est un grand connaisseur : « On parle de l’huître bretonne mais elles sont toutes différentes. La Cancale est une huître de pleine mer délicieuse. La Paimpolaise est plus saline. Les huîtres de Prat-Ar-Coum sont particulières. Elles proviennent d’un endroit, non loin de Roscoff, avec de grands courants et une eau très riche. Le goût est très iodé, moins que celui des paimpolaises, et elles sont très charnues. Quant à l’huître du Belon, en réalité c’est une huître de rivière. »

 

Il aime aussi la manger crue, en l’ouvrant. « J’en mets souvent dans mes amuse-bouche. Je les marie avec le lard. On peut boire un verre de whisky avec une huître. Les caractères sont assez proches », remarque-t-il.

 

Avec les moules, qu’il cuit à la marinière, il boit un Jasnières. Au Château de Fosse-Sèche, Guillaume Keller fait des saumurs blancs et rouges qui se marient bien avec les oursins. « Les oursins, il y en a très peu, donc on les commande directement chez nos poissonniers. C’est la même chose pour les couteaux », précise Mathieu Aumont. Généreux en astuces de professionnel, il en profite pour donner des conseils de cuisson : « On met un vin blanc sec dans le fond de la casserole, on met le couteau, un tour de moulin à poivre, et trente secondes après, quand le couteau s’est ouvert avec la vapeur du vin blanc, il est cuit. On l’agrémente d’une belle salade de mâche, avec une réduction de vinaigre balsamique et vin rouge. »

 

Mathieu Aumont habite à deux minutes de l’océan. Le samedi, comme le restaurant n’ouvre pas le midi, il en profite pour passer du temps avec sa petite famille. Ils font le marché.

 

Jean-Luc le maraîcher leur donne une barquette des tomates cerises multicolores (rouges, jaunes et noires) dont les enfants de Mathieu raffolent. Puis c’est au tour de Jean-Luc le charcutier, spécialiste du pâté et de la langue de porc. C’est un personnage : il porte toujours un béret et un insigne « Dans le cochon, tout est bon. » De quoi convaincre les sceptiques. Pendant que les parents font la queue, les enfants vont chez Christophe, chercher des galettes complètes, à la saucisse ou au jambon. « C’est un moment extraordinaire », se réjouit Mathieu en racontant.

 

Le chef d’Aux Pesked fait aussi son propre pain. Pour cela, il détourne un instant son regard de l’océan. Le moulin a un siècle, tout son appareillage aussi, et il est l’un des deux derniers à être actifs dans la région de Saint-Brieuc. Monsieur Pincenin lui prépare trois types de farine : de la blanche, de la complète et de la farine de blé noir. C’est cette dernière qu’il utilise pour préparer son croustillant au blé noir ou sa tartine de pain au lait ribot.

 

Il ne faudrait pas oublier que le pain est servi à la table d’Aux Pesked. Une touche marine s’impose donc. Mathieu Aumont s’est lancé dans la préparation de pain aux algues. Là encore, il fait le choix du local et utilise des algues desséchées du Morbihan : « Pour parfumer le pain, je mélange les algues Kombu et les algues vertes, explique-t-il. Je les coupe en dés, je les mélange à ma farine, je laisse pousser toute une matinée puis je moule le pain et je le cuis. »

 

Un peu de beurre pour accompagner le pain ? Oui, mais pas n’importe lequel. Le chef étoilé achète exclusivement du beurre demi-sel : « Il varie, selon la saison et l’alimentation des animaux, mais au printemps, il est plutôt blanc », confie-t-il. Il fait des copeaux sur la baratte avec un éminceur et les pose sur la table, laissant les gens se servir directement.

 

Aux Pesked, même le foie gras est local. Le chef le cuisine un peu l’hiver, entre novembre et février. Mathieu Aumont ne ferme pas ses horizons. C’est encore un Jean-Luc qui vient l’aider à voir au-delà de la Bretagne. Celui-ci est espagnol et spécialisé dans les produits d’importation. Mathieu aime son huile d’olive, le lard de Colonnata, ou le chorizo. Il achète des œufs de hareng, du parmesan ou même des pâtes.

 

Mais pour le cœur de ses plats, le chef d’Aux Pesked a fait le choix du local. Avec une idée en tête : la proximité est l’alliée de la fraîcheur des produits.