Olivier Bellin
Auberge des Glazicks - Plomodiern
Une cuisine sensitive
« TROP DE TECHNIQUE TUE L'ÉMOTION »
En breton, Glazick signifie « petits bleus ». Bleu comme le costume local où cette couleur s’associe au jaune et au gris. « Au départ, ma vie a été aménagée avec ces couleurs », commence Olivier Bellin.
Il est originaire de la pointe du Finistère mais c’est de Bourgogne que son nom lui vient. « Un cocktail étonnant et détonnant », commente-t-il. Lorsque le chef prend les rênes de l’Auberge des Glazicks, il ne découvre rien. La maréchalerie datant de 1870 est dans sa famille depuis l’origine. A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, comme l’activité du grand-père d’Olivier Bellin ralentit, son épouse décide d’ouvrir une ferme et d’y mettre la famille au travail. L’un de ses fils se lance ainsi dans l’élevage et dans la culture céréalière. Tout ce qu’il produit est servi au restaurant, installé à la place de l’ancienne maréchalerie.
A l’époque, la grand-mère d’Olivier Bellin cuisine les grands classiques bretons : saint-jacques, homard, gigot d’agneau aux flageolets ou noix de veau forestière, selon la saison. Dans cette affaire de famille, la transmission se fait de mère en fille.
Olivier fait son apprentissage au lycée Le Paraclet, à Quimper. Il y rencontre le chef Jean-Pierre Guillaume, qui lui apprend à respecter le port de la veste blanche. En 1991, il gagne le concours junior organisé par CAPIC, le dernier fabricant privé de matériel de cuisine professionnel en France. « J’ai gagné avec mon poulet sauté Boivin. C’est un poulet découpé en huit morceaux, accompagné de petites pommes de terre de 2 cm de long, tournées façon olivettes, avec des artichauts sautés et un jus de poulet au jus de citron. »
Olivier Bellin s’en souvient bien, et pour cause : ce plat et la victoire qui l’accompagne lui permettent de se faire remarquer par les chefs bretons comme Olivier Roellinger et Patrick Jeffroy, qui débutent. À l’époque, le jeune diplômé est âgé de 19 ans. Il décide de se lancer dans un tour de France.
Première escale : les Landes. Olivier dépose ses valises à Magescq, un village situé à 10 km de Dax. Quelques mois plus tard, direction La Bourgogne. Sa famille paternelle est originaire du pays du vin Givry. Olivier y fait le tour des petits établissements sans prétention, dans cette région où les fermes sont nombreuses. Mais au bout d’un an, il retourne en Bretagne. À Pont-Aven, il trouve un poste au restaurant étoilé La Taupinière, de Guy Guilloux. « Je découvre une maison d’exception, s’émerveille Olivier Bellin. Guy Guilloux crée un réseau fabuleux avec des travailleurs d’une compétence inégalée. On est au-delà des palaces. On est au niveau sentimental, loin du luxe en réalité. »
Un jour, Joël Robuchon, celui que tous appellent « notre chef », vient déjeuner. Olivier se souvient parfaitement de ce qu’on lui prépare : un bar grillé au four avec des petites crêpes de pommes de terre. C’est que, pour Olivier, Joël Robuchon est une idole. « Il avait 45 ans et avait écrit dans ses ouvrages qu’il arrêterait à 50 ans. Il ne me restait plus que 5 ans pour atteindre mon but », indique le chef de l’Auberge des Glazicks. Cinq années réduites à quatre parce que le jeune homme doit faire son service militaire. Dans ce cadre-là, il intègre les cuisines du Quai d’Orsay. De nouveau, il remporte un concours, qui lui permet de cuisiner pour le ministre des Affaires étrangères. Une bonne référence…
En attendant, il reçoit une proposition de Pierre Gagnaire pour la Roseraie, son restaurant installé en Suisse – une étoile au Michelin et 17/20 au Gault et Millau. A son arrivée, Olivier Bellin découvre un établissement posé au bord de la route, dans un village désert. Mais les vestes, les chaussures sont modernes, et la cuisine de Denis Martin l’est aussi : très graphique, épurée, faite de lignes et de traits. « C’était le restaurant attitré du groupe Queen. Le dernier repas de Freddie Mercury a eu lieu dans cet établissement, à Yvorne, dans le canton de Vaud ! »
Le Breton reste six mois dans cette petite équipe de trois personnes, jusqu’au jour où le secrétaire de Joël Robuchon l’appelle pour lui proposer un poste. « On était jeudi et j’ai dit que je pouvais commencer dès lundi à Paris », se souvient-il.
Le lundi matin, Olivier Bellin semble le revivre lorsqu’il le raconte : « J’arrive au boulevard Sébastopol. Je suis un peu étonné du mélange de cultures, ou plutôt du choc des cultures. Je monte dans le taxi pour aller au boulot et la première personne que je vois au travail, c’est Frédéric Canton, le chef de Robuchon. J’attends une bonne quarantaine de minutes qu’enfin, quelqu’un me parle. On me dit d’aller me changer. Je démarre tout de suite. Le rêve commence. »
Le rêve durera deux ans, à la fin desquels Olivier quitte le restaurant de celui qu’il compare à Pelé au football pour rejoindre l’Auberge bretonne de Jacques Thorel. A l’époque, le restaurant a deux étoiles au Michelin et le chef cherche de nouveaux cuisiniers pour obtenir la troisième. Mais au bout d’un an, Olivier décide de rentrer à Plomodiern, de rompre la tradition en reprenant, lui, le fils, les cuisines de l’auberge à sa mère. En 2004, l’ancienne maréchalerie a droit à un article dans le Gault et Millau et à un autre signé Gilles Pudlowski.
L’année suivante, le travail d’Olivier Bellin et de sa famille est récompensé : le restaurant obtient sa première étoile. Rassuré peut-être, le chef décide de jouer sur le fort aspect identitaire de la région et de cuisiner au blé noir, notamment en préparant du beurre au blé noir, ce qu’il est le seul à faire au monde.
Si l’Auberge des Glazicks n’a plus pour unique fournisseur la ferme attenante depuis bien longtemps, la plupart des produits que cuisine le restaurant proviennent de la région – même le foie gras. Le homard est pêché au casier, à Saint-Brieuc, comme la coquille Saint-Jacques. « Il ne faut jamais avoir de saint-jacques décoquillée posée sur de la glace, insiste le chef. On enlève l’élément de son environnement naturel. »
Sa recette toute simple pour préparer la saint-jacques : poêlée une minute trente sur chaque côté avec du beurre mousseux et un peu d’ail écrasé en chemise, en faisant caraméliser. Chacun son beurre, mais l’Auberge des Glazicks a fait le choix du Bordier, quand elle n’utilise pas le beurre au blé noir de la maison, dont la recette est bien gardée. Il y a aussi la Ferme de Kerheu : pour Olivier, c’est un beurre d’exception.
L’Auberge des Glazicks cuisine beaucoup de tubercules, d’artichauts et de choux fleurs. Ce dernier, Olivier Bellin aime le manger cru quand il est frais, accompagné d’une sauce mayonnaise dans laquelle il ajoute un jaune d’œuf passé au tamis, avec du chorizo et de la coriandre hachée. Pour les pommes, le chef de l’ancienne maréchalerie a jeté son dévolu sur le Manoir du Kinkiz où il choisit ses pommes mais aussi du cidre… avec lesquels il fait son propre vinaigre, le vinaigre celtique : « On fait réduire un peu de vinaigre, on remouille avec du cidre, on fait encore réduire à glace. On laisse reposer, on coupe avec de l’huile d’olive, et c’est fini », détaille-t-il.
Pour ses viandes, le chef a fait le choix de méthodes à l’ancienne. Les bêtes reçoivent une alimentation à base de céréales, pain, lait, fruits et fruits secs. Et lorsqu’on lui parle de cuisine moléculaire, il ne comprend pas vraiment l’intérêt. « Tout le monde fait de la cuisine moléculaire, même quand on fait cuire un steak. La technique seule n’est rien. »
Et à entendre le chef raconter son histoire, on se dit qu’il y a eu effectivement de l’émotion dans son parcours. Une émotion qui a peut-être contribué à ce qu’en 2010, le guide Michelin ajoute une deuxième étoile à côté du nom « Auberge des Glazicks ».