Thomas Boullault - L’Arôme - Paris

L'instinct avant tout

« J'AI LA CUISINE DANS LA PEAU! »

L’histoire commence un 31 décembre. Thomas Boullault entre dans l’Auberge à la tête de lard, à la Ferté-Imbault, pour son premier jour de travail en cuisine. Il a 12 ans. Depuis longtemps, ce fils de boucher charcutier originaire de Romorantin-Lanthenay annonce qu’il veut être cuisinier. La découverte des réalités du métier, un soir festif, c’est justement une idée de son père. « Si avec ça, il n’est pas dégoûté, on en fera un chef », aurait-il dit alors.

 

Loin d’être dégoûté, le jeune Thomas persiste dans son idée de devenir cuisinier. Jusqu’à ses 14 ans, il travaille à l’auberge le week-end dans les cuisines de Jean-Marie Benni. Il y apprend les classiques et beaucoup de leçons de vie. Puis il quitte son cursus scolaire classique, dans lequel il réussissait plutôt bien, pour un CAP de cuisine. Naturellement, l’Auberge à la tête de lard l’accueille de nouveau pour son apprentissage. « Je n’ai jamais redoublé. Monsieur Benni m’a même fait une dérogation pour que je rentre en apprentissage directement, sans préapprentissage », raconte Thomas Boullault.

 

A 17 ans, son CAP en poche, le Romorantinais intègre les équipes d’une autre auberge de la région, le Lanthenay (une étoile). A l’époque, le chef de cet établissement est Philippe Valin. Il a déjà deux étoiles dans un restaurant parisien, le Dodin-Bouffant, et accueille Thomas pour deux ans et demi, pendant lesquels il prépare et passe son BEP. Mais après une tragédie et le décès de son meilleur ami, qui travaillait dans le même restaurant, Thomas Boullault ne se sent pas la force d’y rester. Il démissionne, sans savoir où aller.

 
 

 

Il achète le guide Michelin, celui de 1999, et cherche les maisons dans lesquelles il aimerait travailler. Son père lui a laissé un délai d’une semaine pour trouver avant de venir travailler avec lui. Alors que l’échéance approche, Thomas téléphone au restaurant triple étoilé Taillevent. Il demande à parler au chef, Philippe Legendre, et lui explique sa situation.

 

Trois jours plus tard, le chef en personne arrive en Sologne. Il vient voir Thomas, l’avertit qu’il s’apprête à quitter Taillevent et lui conseille de rester travailler trois mois de plus avec son chef. Ensuite, s’il le souhaite, il pourra faire l’ouverture du George V à Paris avec lui. « J’ai fait le passage à l’an 2000 dans le George V ! » s’exclame-t-il. Mais il ne reste pas plus d’un an dans ce prestigieux restaurant. Beaucoup de choses le gênent dans l’organisation, notamment le fait de travailler toujours avec un coup d’avance.

 

Néanmoins, cette expérience est l’occasion d’une fabuleuse rencontre pour Thomas. Au milieu de la gigantesque brigade du George V, il rencontre Frédéric Simonin. « Je ne le considère pas que comme un ami. C’est mon frère », déclare-t-il comme une parenthèse. Deux ans plus tard, alors que le Solognot est en poste dans un restaurant suisse de Fribourg, le Schild, c’est Frédéric Simonin qui l’appelle pour lui proposer une autre place. Il est arrivé au Seize au seize, à Paris, et souhaite que Thomas Boullault devienne son chef de partie à la viande. Le jeune homme accepte le poste, qu’il occupera pendant deux ans avant de partir pour le Royal Monceau.

 

 

Là, il est amené à travailler sous les ordres de Christophe Pelé, qui vient de succéder à Hervé Galidie. « La fusion de nos deux personnalités était très bonne », constate-t-il aujourd’hui. C’est dans ce restaurant que Thomas découvre la carte variable, qui change en fonction du jour. L’approche lui plaît, mais au bout de quelque temps, le Royal Monceau ferme ses portes pour être vendu.

 

A cette période, le hasard fait bien les choses. Thomas croise par hasard Eric Martins, qui était directeur de salle du Seize au seize quand Thomas y travaillait avec Frédéric Simonin. Eric Martins lui apprend qu’il travaille à l’Arôme depuis six mois et qu’il souhaite apporter un peu de nouveauté dans le restaurant. C’est ainsi que Thomas Boullault décroche sa première place de chef, en septembre 2007.

 

« Mais au bout de deux mois, comme le côté bistronomique du restaurant ne me plaisait pas du tout, on a changé pour faire une carte beaucoup plus gastronomique », raconte-t-il. Un changement bénéfique pour le restaurant. Les champagnes Jacquart nomment Thomas étoile montante de la gastronomie. En 2009, à 28 ans, il obtient sa première étoile dans l’édition du centenaire du guide Michelin.

 

Pour le chef, c’est l’aspect évolutif de sa cuisine qui est récompensé. Il cite un habitué, qui lui aurait dit : « Ce qui est agaçant chez vous, c’est qu’il faut lire le menu tous les jours. » Bluffé par la cuisine à l’insctinct de Christophe Pelé au Royal Monceau, Thomas Boullault veut, lui aussi, éviter les cartes à rallonge qui ne changent qu’une fois par saison et privilégier la création continue à partir de produits de qualité et de saison.

 

Ses asperges, par exemple, viennent de sa région natale, et plus précisément de la ferme de M. Carré, qui lui vend des spécimens de la variété reines de Sologne, cultivées dans le sable. Pour les autres légumes, le Romorantinais se rend sur le marché de la rue Gros, dans le 16e arrondissement de Paris. Là, M. Thiébault lui fournit tomates, jeunes carottes, betteraves chioggia, hélianthis (des tubercules proches du topinambour) mais aussi racines japonaises.

Même s’il pense que les guides peuvent se tromper, Thomas Boullault les considère comme un recueil de bonnes idées de tables pour les gourmands. Son pari d’y entrer avant trente ans est réussi.