Jean Chauvel -
Vers la cuisine du futur
« LE CONTACT HUMAIN EST LE SEL DU MÉTIER. »
C’est un Breton déraciné. Les parents de Jean Chauvel sont originaires de Vannes et de Saint-Malo. Accident de la vie, ils sont allés chercher du travail en région parisienne et c’est à Saint-Cloud que leur fils est né. « Malheureusement », dit-il, lui qui se sent très attaché à la Bretagne sans avoir l’impression qu’il pourra s’y installer pour travailler un jour.
Jean grandit entre Boulogne et Issy-les-Moulineaux, dans la cuisine d’un restaurant de quartier tenu par ses parents. Il commence à y travailler très jeune, pour aider ses parents. Son premier plat ? une entrecôte d’Auvergne avec des pommes de terre frites qu’il a épluchées le matin même. Ce jour-là, ses clients sont tous des amis, aussi bien ouvriers spécialisés de chez Renault qu’avocat. Madame Chauvel a appris le métier sur le terrain. Elle a réussi à voir sa cuisine reconnue et respectée de tous dans le quartier. Mais en apprenant que son fils veut cuisiner aussi, elle lui explique quelle chance ce serait pour lui d’aller dans une école hôtelière. Jean entreprend les démarches pour aller étudier à l’Ecole de Paris des métiers de la table, dans le 17e arrondissement. En deux ans, il y obtient un CAP cuisinier en restauration et un CAP cuisinier traiteur et apprend la rigueur.
Sa première place, il l’obtient chez Fauchon, dans le 8e arrondissement, grâce à son patron d’alternance, M. Desjardins, un ancien de chez Joël Robuchon qui l’a quitté pour s’installer seul. Mais rapidement, Jean se lasse de travailler en épicerie fine. « J’étais en manque de contact humain.
C’est très important pour moi, dans ce métier », explique-t-il. Au bout de deux ans, il quitte son chef, Serge Primot, pour travailler dans un restaurant. « Je voulais rentrer dans le top, se souvient Jean Chauvel. Et pour moi, la Tour d’argent, c’était le top. » Il contacte le chef de l’époque, Manuel Martinez, aujourd’hui au Relais Louis XIII, et réussit à se faire une place dans les cuisines du mythique restaurant en hauteur. Là-bas, c’est une véritable course à l’excellence. « Il nous obligeait à nous remettre en question de manière incessante. C’était un homme très dur au travail, mais exemplaire. »
Fort de cette leçon de rigueur, Jean quitte l’établissement au bout de deux ans pour devenir chef de partie au Taillevent, où les exigences sont aussi très élevées. Les produits sont grands, aucune place n’est laissée à la faute ou à l’ignorance. Mais parallèlement à cela, c’est un milieu très humain que découvre le jeune cuisinier. « Monsieur Vrinat, le dirigeant du restaurant, était quelqu’un d’extraordinaire. Il était là quand j’arrivais, quand je repartais, et il était toujours à l’écoute. » L’expérience dure quatre ans.
Après une parenthèse chez Bernard Loiseau, où il ne reste pas parce qu’il est « trop jeune pour comprendre », Jean Chauvel quitte la capitale pour le sud de la France. « Je suis allé à la Pinède, un relais, chez M. Delion. J’étais le sous-chef d’Hervé Quesnel. On a tout monté tous seuls, sans contacts de fournisseurs. Le relais avait une étoile Michelin, mais je n’y suis resté qu’un an car la vie du sud ne m’a pas plu », confesse Jean. Il regagne donc la capitale, non pas seul mais avec son épouse, rencontrée à la Pinède où elle travaillait en salle. A Paris, elle devient chef de rang chez Rostand, tandis que son époux part travailler à la Table d’Anvers, chez les frères Conticini.
« Ils étaient avant-gardistes et je ne comprenais pas tout, avoue Jean. Mais cela m’a appris à me lâcher en cuisine. J’ai diversifié mes connaissances et expériences dans cette maison. C’était une cuisine folle, ambitieuse et très bien faite. Les deux frères faisaient un super binôme, ils se complétaient totalement. » Pendant quatre ans, Jean y fait de grosses journées, entouré de Philippe Conticini, le maître de l’éclair au chocolat, du Paris-Brest et des croquettes au chocolat liquide, et de Christian Conticini, qui assurait la publicité du restaurant. Depuis, les deux frères ont cédé le restaurant. Philippe a ouvert trois pâtisseries et un traiteur à Paris. « Je le recommande vivement », insiste Jean.
C’est ensuite le Crillon qui lui ouvre ses portes. Jean Chauvel entre dans cet établissement deux étoiles comme sous-chef. Avec lui, ils sont plusieurs futurs chefs, comme Jean-François Rouquette et Alain Pégouret, à diriger une soixantaine de cuisiniers dans une atmosphère très carrée mais magique, selon Jean : « On avait les moyens de faire notre métier. »
En 1998, il trouve enfin une occasion de s’installer au Perreux-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. Les Magnolias, un ancien restaurant, est à vendre. Heureuse coïncidence, il y a un appartement au-dessus de l’affaire, ce qui était une condition pour le couple Chauvel depuis la naissance de leur enfant. « On a gardé le nom car il était dans les guides. Pour faire venir les gens, il faut les séduire. Alors j’ai pris une page blanche et j’ai décidé de faire ma recette afin de ne pas prendre celle des autres. » C’est ainsi que Jean Chauvel s’est lancé dans la cuisine moléculaire, avant même la fin du XXe siècle.
Pur exemple de ses créations : le sandwich jambon-beurre à boire, une mousse de beurre, crème de jambon et pain brûlé, servi dans une pipe à alcool fabriquée par une amie souffleuse de verre. Il se souvient aussi de son macaron à la moutarde et de son Paris-Brest à secouer.
Mais depuis quelques années, le chef a abandonné ce type de produits. « Je me suis recentré sur la cuisine traditionnelle », annonce-t-il. Avant d’ajouter que, devant la demande de certains clients, il a dû ajouter certains de ces plats dans les menus traditionnels, dont le prix varie entre 41 euros (entrée, plat ou plat, dessert) et 92 euros pour le menu dégustation.
Amateur de saveurs délicates et exotiques, Jean Chauvel cuit le céleri dans du safran, qu’il acquiert auprès de Nicolas Chevalier, un producteur bio basé dans le Quercy. Pour son navet de Kyoto aussi, il fait le choix du bio et d’Arnaud Lasserre, un maraîcher original qui a choisi de vivre en autosuffisance, dans une maison en bois. « C’est une personne d’exception », selon le chef des Magnolias.
C’est qu’il privilégie beaucoup la rencontre pour choisir ses fournisseurs. Olivier Derenne, un passionné du Japon, lui a fait goûter un jour un ail noir cultivé en pleine montagne, arraché de la terre puis plongé en mer dans des containers. « L’ail est confit à l’intérieur et au goût de réglisse », s’amuse Jean.
Une autre anecdote amusante : sa rencontre avec Michel Bachès, un producteur d’agrumes installé dans le sud de la France, près de Collioure. « Ce monsieur est venu un jour manger au restaurant, et il m’a apporté un carton avec 150 sortes d’agrumes différents. J’ai été impressionné, c’est ainsi qu’on a commencé à travailler ensemble », raconte Jean Chauvel. Et grâce à lui, il découvre le citron caviar, un citron sans jus mais plein de bulles qui éclatent en bouche, ou encore le citron main de Bouddha, que le chef coupe en tranches pour faire la raviole de bar de ligne de Roscoff.
Pour le reste des légumes, comme beaucoup d’autres restaurateurs franciliens, Jean Chauvel a trouvé un excellent maraîcher en la personne de Joël Thiébault, habitué des marchés du 16e arrondissement et des grands restaurants de la capitale : « Tous les ans, il invite les cuisiniers et explique comment il fait pour l’année et pourquoi cela a mal fonctionné sur certains produits. Il nous demande même ce qu’on souhaite consommer. »
Une proximité que semble apprécier Jean Chauvel. Lui qui a grandi dans un restaurant de quartier, on comprend son insistance pour rencontrer ceux qui le fourniront. C’est aussi l’occasion de découvrir les talents cachés de chacun, comme le fromager Dominique Fabre, qui produit du caillé et du fromage de chèvre mais aussi son huile de colza. « J’espère que l’on mettra en avant le travail des petits producteurs. Ils sont la pierre angulaire de notre métier », conclut Jean Chauvel.