Laurent Arbeit - Auberge Saint-Laurent - Sierentz

La puissance de l'héritage

« BIEN MANGER, C'EST MODE DE VIE »

« J’ai 26 ans et je suis de retour depuis deux ans dans l’affaire familiale, mon père ayant dû lever le pied rapidement. Le restaurant, c’est l’Auberge Saint-Laurent ». C’est ainsi que se présente Laurent Arbeit. Il raconte aussi qu’il a appris à marcher dans une cuisine. 

 

Particularité : la cuisine familiale est celle de l’auberge. Les parents de Laurent la reprennent à ses grands-parents. En une vingtaine d’années, ils font évoluer les plats simples de ce restaurant rustique de Sierentz, en Alsace, vers une cuisine un peu plus élaborée. Il y a dix ans, l’Auberge Saint-Laurent obtient une étoile au guide Michelin. Parallèlement, la famille Arbeit entreprend des travaux dans la bâtisse du XVIIe siècle pour accompagner les bons plats d’un hôtel de charme avec quelques chambres.

 

C’est dans cet environnement, à dix minutes de Bâle et quinze de Fribourg, que grandit Laurent Arbeit. « Je savais faire une omelette avant de savoir marcher », plaisante-t-il. Avant de marcher, peut-être pas, mais il fait vraiment ses débuts en cuisine en préparant les omelettes et d’autres recettes simples dans le restaurant familial. « Ensuite, j’ai assaisonné le foie gras. C’est sacré en Alsace et mon père y tient particulièrement, insiste-t-il. J’ai aussi appris à faire des marinades, sans recette. Même si je garde mes secrets, je peux vous dire que nous aimons bien travailler la marinade avec le cognac... ».

 

Le jeune Laurent a déjà une certaine expérience de la cuisine lorsqu’il décide, en troisième, de suivre la même voie que son père. Il sait que l’ampleur du travail est énorme mais fait le choix d’un mode de vie décalé plutôt que des horaires de bureau réguliers. Un autre argument entre en jeu dans la décision de celui qui rêvait de devenir footballeur professionnel ou pilote de chasse : la gourmandise. « Avant d’aimer cuisiner, j’aime manger », souligne-t-il.

 

 
  

Conscient qu’il ne s’agit pas d’un motif suffisant, son père insiste pour lui faire découvrir le travail des cuisines. Il l’envoie au Caveau d’Eguisheim, tenu par Olivier Nastier. « Je me suis rendu compte de la difficulté mais je me suis accroché », se souvient Laurent. En 1999, il entre au CFA de Guebwiller, où il choisit l’alternance pour son CAP et son bac professionnel. L’Auberge de l’Ill l’accueille pour son apprentissage, comme le lui avait promis Monsieur Haeberlin dix ans plus tôt au cours d’un repas avec sa famille dans ce restaurant. « Cette maison a trois étoiles depuis près de trente ans. On y apprend la rigueur. On conserve et on entretient la vie de famille. »

 

Mais sitôt ses diplômes en poche, Laurent Arbeit cherche à voir du nouveau. Il est passionné de sports de montagne et désire faire une saison dans les Alpes. Le Hameau Albert 1er, trois étoiles au Michelin, lui ouvre ses portes à Chamonix. Dans ce restaurant des familles Carrier et Maillet, Laurent apprend à s’investir complètement dans la préparation des repas. « Ensemble, nous allions ramasser les bourgeons de sapins sur les hauteurs de Chamonix. On les faisait blanchir plusieurs fois dans les grandes marmites, cuire avec du sucre jusqu’à réduction pour obtenir un sirop qui avait une texture de miel. Il avait ce goût de bourgeon de sapin, un goût que l’on ne peut obtenir que de cette manière. C’est la recette du grand-père. »

 

Le sirop est ensuite utilisé dans les recettes proposées par le Hameau Albert 1er. D’abord pour confire les carottes qui accompagnent les filets de poisson du lac Léman. Ensuite, en caramélisant le sucre « Bourgeon de sapin » à la poêle et en y ajoutant de la crème fouettée pour en faire une sauce minute.

 

 

L’expérience dans cette cuisine entre Savoie et Piémont est riche. Laurent Arbeit pensait y rester un hiver, faire une saison puis s’en aller. Mais l’ambiance est bonne. « C’était une petite brigade, un groupe soudé, commente l’Alsacien. On skiait, on escaladait, on faisait la fête et du vélo. Je n’ai pas pu partir car j’y étais vraiment bien. » Alors qu’il est arrivé commis dans les cuisines de Pierre Maillet, il devient responsable du garde-manger à moins de vingt ans et aide à élaborer le menu, qui change chaque jour. Au bout d’un an et demi, assoiffé de découverte, il fait ses valises, direction le sud, non sans avoir conservé dans sa palette de saveur la truffe blanche et les noisettes du marché d’Alba, qu’il cuisinera par la suite avec le risotto ou en garniture avec le foie gras.

 

 

Avec l’aide de Pierre Maillet, il entre au Louis XV, célèbre établissement monégasque d’Alain Ducasse, dans l’équipe de Franck Cerutti. Il découvre un autre univers, avec beaucoup de personnel (une brigade de 25), et d’épaisses frontières entre chaque fonction. De responsable du garde-manger, il repasse troisième commis. Mais il observe dans ce restaurant un grand respect du produit. « Monsieur Cerutti refuse de les dénaturer. Une fois, il est entrée dans une fureur noire parce que j’avais brossé des betteraves avant de les ranger. Il m’a dit que ça les protégeait », se rappelle-t-il.

 

 

Lorsque Franck Cerutti devient responsable de tous les restaurants de l’hôtel monégasque, Pascal Bardet lui succède et c’est l’occasion pour Laurent de gravir quelques échelons. Il passe à l’entremets, préparant entrées chaudes, légumes, risottos, jusqu’à ce qu’au bout d’un an, son père lui fixe un ultimatum. Si Laurent veut reprendre les commandes des cuisines de l’auberge, c’est maintenant ou jamais.

 

 

A l’Auberge Saint-Laurent, le jeune Alsacien perpétue les traditions familiales. Il cuisine toujours le foie gras comme son père, accompagné d’un confit de choucroute. « On le cuit en terrine, on le présente en tranches de terrine. On l’accompagne d’une quenelle de confit de choucroute et on l’agrémente suivant les saisons », explique-t-il. Lui qui avait commencé par apprendre l’assaisonnement et les marinades, continue de mariner le saumon fumé d’Ecosse au poivre, avec cinq baies différentes. « Je n’ai pas envie de bouleverser cette tradition familiale », déclare-t-il comme pour se justifier.

 

Pour le bœuf, Laurent Arbeit a gardé le contact avec un éleveur qui fournissait ses cuisines à l’époque du Louis XV. Il est alsacien et s’appelle M. Metzger. « La traduction de son nom en allemand est « boucher » », s’amuse le cuisinier. Pour le blanc, Laurent Arbeit est amateur de vins locaux : maison Trimbach, domaine Weinbach de Colette Faller et ses filles, maison Gingliger et Josmeyer.

 

Laurent Arbeit cuisine aussi du pigeon de nid. Il le fait venir de Nordhouse, où son producteur fétiche produit des volailles de très bonne qualité, dodues et à la chair très foncée.  A l’écouter, on croirait que l’Alsace est le paradis des gourmets. « Les meilleures asperges du monde sont celles de Village-Neuf, non loin du restaurant, affirme le chef. La saison ne dure qu’un mois, alors on en profite quand elles sont là. On peut les cuisiner dans une cocotte mouillée au fond blanc, avec du beurre. L’asperge est mise à son avantage avec une petite mayonnaise au vinaigre à l’échalote. »

 

Laurent Arbeit a donc su s’entourer de fournisseurs de produits de qualité lorsqu’il a repris les cuisines de l’Auberge Saint-Laurent. Une nécessité pour faire vivre l’esprit du restaurant de campagne, installé entre la mairie et l’église, et pour donner un sens à la devise du jeune chef : « Bien manger est nécessaire à un équilibre de vie. »