Alain Dutournier - Carré des feuillants - Paris

Le goût de la vérité

« LA CUISINE ÉVOLUE VERS LA QUALITÉ »

Quand il raconte sa découverte de la cuisine, ce sont la simplicité et la notion de jeu qui interpellent. « La farine était ma pâte à modeler », plaisante le chef doublement étoilé. Fallait-il y voir un signe ? Le 11 mars 1949, c’est à midi que le petit Alain décide de pointer le bout de son nez. Ses parents tiennent une auberge à Cagnotte, entre Dax et Peryrehorade dans les Landes. L’enfant naît dans l’auberge où il passera toute son enfance.

 

Dès son plus jeune âge, il participe à l’activité de sa famille, aidant sa mère et sa grand-mère en cuisine. Son père, lui, est charpentier l’été et tonnelier l’hiver. « L’odeur du bois noble me faisait déjà rêver », se rappelle Alain Dutournier.

 

Cette odeur de qualité, cette découverte des beaux produits dans les cuisines de l’auberge poussent le garçon à se passionner pour la cuisine. Très jeune, en voyant passer devant lui volailles de ferme, bœuf gras de Chalosse, confits, foie gras, lamproie, saumon des Gaves et chocolat noir de Bayonne, Alain décide qu’il sera cuisinier, et que son travail le fera voyager. A 15 ans, il entre au lycée hôtelier de Toulouse – promotion Auguste Escoffier. De son passage là-bas, il ne garde que de bons souvenirs : ceux d’une école bien équipée et de professeurs passionnés pleins de personnalité.

 

   

 

Sitôt ses stages terminés, avec un CAP Cuisine et un CAP Restaurant en poche, Alain œuvre à réaliser la deuxième partie de son projet : voyager. Il part pour l’Allemagne et la Suède, mais en revient deux ans plus tard pour faire son service militaire. C’est à Toulon qu’on l’envoie, comme cuisinier du chef de corps des Marsouins.

 

A son retour à la vie civile, Alain peine à trouver une place dans les maisons réputées. Il s’oriente vers des maisons moins connues du bassin d’Arcachon, du Lot et de Monaco, avant de rejoindre le commissariat hôtelier d’Air France à Orly. Là, le jeune Gascon retrouve d’anciens camarades du lycée de Toulouse. Il découvre une cuisine de taille démesurée, censée préparer parfois jusqu’à 20 000 repas par jour. L’expérience lui ouvre aussi les yeux au voyage, et au voyage culinaire vers d’autres cultures comme celles d’Asie. « Mon esprit s’ouvre alors au mondialisme, mais j’ai l’envie implacable d’interpréter la cuisine du Sud-Ouest à ma façon, et d’apporter le message à Paris », constate-t-il.

 

Rapidement, Alain Dutournier ouvre son premier restaurant. C’est le Trou gascon, installé dans le 12e arrondissement de Paris. « J’avais 24 ans et 20 000 francs d’économies. Mes parents ont hypothéqué l’auberge familiale pour m’aider, c’était leur seule propriété », raconte-t-il. Le jeune chef n’a pas le droit à l’erreur. Pendant un an et trois mois, son restaurant ne ferme pas une fois. Certains jours, il n’a que 3 couverts à servir. Mais Alain parvient à imposer sa cuisine, « une cuisine sans beaujolais, sans crème et sans bœuf grillé ! ». A la carte : huîtres chaudes en crépinettes gourmandes, filets de lisette au corail d’oursin et fricassée minute de poulet aux oignons caramélisés et piments.

 

Le chef ne se fait pas d’illusion : « Avoir des idées en cuisine est une chose. Les vendre, c’est bien plus difficile ! ». Mais rapidement, la presse le remarque. Il comprend comment fonctionne l’univers de la restauration et commence son ascension. En 1977, quatre ans après avoir ouvert le Trou gascon, Alain Dutournier décroche sa première étoile et un 16/20 au Gault-Millau. Cinq ans plus tard, la deuxième étoile est là, et le Gault-Millau réévalue sa note à 18/20. Entre-temps, le chef nommé meilleur sommelier restaurateur en 1976 a lancé ses propres caves dans les Yvelines, les Caves de Marly.

 
 

C’est en 1986 qu’Alain lance le restaurant qu’il souhaitait avoir, dans le 1er arrondissement de Paris. « C’est le lieu idéal : au centre de Paris, avec des surfaces que j’ai aménagées suivant ma conception du métier », se réjouit-il. Il cède la direction du Trou gascon à Nicole Dutournier pour se consacrer au Carré des feuillants, dans lequel il emploie 40 personnes, pour une salle de 55 à 60 places. L’année même de son ouverture, le Carré des feuillants est reconnu par la presse et les guides gastronomiques. Deux étoiles au Michelin, un 18/20 et trois toques rouges au Gault-Millau l’attendent.

 

Alain Dutournier diversifie peu à peu ses activités dans la restauration. Il avait commencé par quelques séminaires aux Etats-Unis dans les années 1970, le voilà qui se fait conseiller pour des groupes français d’agroalimentaire et de distribution, et qui collabore avec le groupe hôtelier Accor. Pour lui, il lance le Café Faubourg, un restaurant gastronomique au sein de l’hôtel Sofitel le Faubourg à Paris.

 

En 1994, Alain anime une rubrique culinaire sur Canal + deux fois par semaine. Son livre, Ma cuisine – des Landes au Carré des feuillants, remporte le prix La Mazille au Salon international du livre gourmand de Périgueux en 2000. Il finira même par ouvrir une unité d’embouteillage pour l’eau minérale gazeuse de Saint-Géron, en Haute-Loire.

 

 
 
Le chef n’oublie pas pour autant son amour pour la qualité, ce qui l’avait amené à se diriger vers la cuisine lorsqu’il était enfant. D’abord membre du Grand jury européen de cotation des vins, il entre ensuite à l’Académie des vins. 

 

En 1989, il est promu chevalier dans l’Ordre national du mérite. En 1996, un an après que le Carré des feuillants a obtenu la note de 19,5/20 au guide Champérard, Alain Dutournier est élu chef de l’année par ses pairs. Puis les marques de reconnaissance se suivent : chevalier dans l’ordre des Palmes académiques en 2002, commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres en 2004, chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur en 2007.

 

Parallèlement à ces distinctions, Alain Dutournier ouvre son troisième restaurant, Pinxo, où l’accent est mis sur la convivialité dans un espace qui mêle accueil des clients et cuisine. Le chef en profite aussi pour réaménager ses deux autres restaurants. Le Trou gascon, jusqu’alors décoré dans un style bistrot fin de siècle, s’orne de lignes contemporaines. Même chose au Carré des feuillants, où Alain recherche « un esthétisme reposant et rigoureux » qui s’accorde avec l’esprit de sa cuisine, plus moderne et épurée.

 

Alain Dutournier est confiant dans l’avenir de la restauration. « La cuisine évolue vers la qualité. Les clients comprennent mieux les produits et redécouvrent l’envie de cuisine vérité », assure-t-il. Selon lui, nous sommes à un tournant dans l’histoire de la cuisine, où après avoir accepté une alimentation industrielle, nous chercherons à aller vers une cuisine saine. « Les cuisiniers de demain devront vendre, gérer et créer du loisir en maîtrisant la santé. Compte tenu de l’accès facile aux médias et aux voyages sans frontières, nous voilà arrivés dans une phase de renouveau et de relookage de cuisine. Dans notre beau métier, la place est plus que jamais à l’imagination, à l’interprétation, à la personnalisation. En deux mots : à l’inventivité culinaire », conclut-il.